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23. L'alcoolisme et la notion de maladie

L'alcoolisme et la notion de maladie

SOURCE : par David L. Ohlms, M.D., extrait tiré de la revue le Pharmacien, Avril 1992

On a de bonnes nouvelles au sujet d’une des plus anciennes maladies de l’homme : l’alcoolisme. Il n’y a pas très longtemps, on affirmait que cette maladie était sans espoir ; de nos jours cette croyance a disparu.

La première partie de la bonne nouvelle. L’alcoolisme est une véritable maladie, tout comme le cancer et l’hypertension. L’expression << bonne nouvelle >> peut paraitre surprenante, à ce sujet, laissez-moi vous conter une histoire.

Les Alcooliques Anonymes battent la marche. En fait, celle-ci débute vers la fin des années 30 alors que des gens souffrant et mourant à cause de l’alcoolisme se lassèrent de consulter des professionnels (médecins, psychologues, psychiatres) qui semblaient incapables de les aider. Le taux de mortalité augmentait chez les alcooliques ou bien, les << survivants >> se retrouvaient dans un asile ou une prison. C’est à ce moment que certains alcooliques se groupèrent et formèrent une organisation d’entraide qu’ils nommèrent Alcooliques Anonymes (AA). Ils trouvèrent ainsi un moyen d’améliorer leur condition de vie et de faire diminuer le taux de décès. De plus, ils découvrirent une méthode qui leur permit d’arrêter de boire et ainsi, vivre aussi normalement que n’importe quelle autre personne n’éprouvant pas de problèmes avec la boisson. Voici la seconde partie de la bonne nouvelle. Mais en vue de venir en aide à d’autres dans le besoin, l’association des AA a d’abord dû établir que l’alcoolisme était une maladie incurable.

Voici ma partie favorite de l’histoire. Les premiers membres de cette association étaient tous des buveurs apparemment sans espoir qui, depuis peu, avaient réussi à arrêter leur consommation de boissons alcoolisées. Le programme des AA a connu tant de succès qu’un jour, après quelques années, la << science médicale >> s’est sentie contrainte de l’examiner de plus près. Pourquoi ces profanes, à leur manière, réussissaient-ils à se rétablir pendant que nous, les professionnels, leur prodiguant soins médicaux et psychiatriques, semblions rempirer leur cas ?

La première chose que nous avons remarquée était que, pour les AA, l’alcoolisme était une maladie << indépendante >>, c’est-à-dire que c’est une maladie en soi avec ses propres symptômes (en ce sens qu’elle n’est le symptôme d’aucune autre affection) et que les AA la soignaient comme tel. Finalement, la science médicale dut finalement admettre que les AA avaient raison. En 1956, l’American Medical Association (AMA) reconnut officiellement l’alcoolisme comme étant une maladie véritable, une entité en soi qui générait ses propres problèmes, ses symptômes respectifs et qui avait son traitement approprié.; l’AMA publia un article important en ce sens, ce qui eut pour effet de bouleverser beaucoup de choses. Depuis 1956, à travers le monde, des centres de réhabilitation ont vu le jour, centre où les gens peuvent se rendre pour recevoir des soins convenables et une approche compatissante face à l’alcoolisme. Cela a été, croyez-moi, la meilleure des nouvelles.

Jouer avec les définitions. À présent, pour continuer notre histoire, nous devrons définir la maladie. Dans une librairie, un dictionnaire à 99 cents contenait quelque chose que j’ai vraiment aimé : on y définissait la maladie comme : << tout ce qui altère la capacité de l’être humain de fonctionner normalement >> (par exemple, une infection comme la tuberculose qui peut détruire vos poumons). Peu en importe la cause, une maladie vous empêche de vivre aussi efficacement qu’en temps ordinaire.

En outre, à mon avis, l’alcoolisme perturbe une vie normale, peut-être plus que toute autre maladie, parce qu’elle dure très longtemps et que la personne en souffre pendant plusieurs années avant qu’on décèle vraiment le problème et qu’on essaie de lui venir en aide. Par ailleurs, cette affirmation est plutôt philosophique et malheureusement ne satisfait pas les critiques << coriaces >> Alors nous devons aller traiter plus en profondeur la notion de l’alcoolisme comme maladie avec, cependant, une approche à la fois très médicale et très scientifique. Pour y arriver, nous devons avoir une définition ; voici celle que j’utilise et que je préfère : << L’alcoolisme est une maladie chronique, progressive et incurable caractérisée par la perte de maitrise face à la consommation d’alcool et d’autres sédatifs. >> Laissez-moi vous expliquer maintenant quelques-uns de ces mots importants.

Chronique. Ce mot s’exprime par lui-même : qui dure longtemps. L’adulte alcoolique typique boira, de façon maladive, pendant 10 à 15 ans et endurera beaucoup de problèmes secondaires avant d’obtenir de l’aide.

Progressive. Ce terme est fascinant ; c’est un des traits uniques de la maladie et une des raisons pour lesquelles la plupart des professionnels approchés, à savoir médecins, consultants, etc. n’aiment pas les alcooliques. Vous devez vous rappeler que de nombreux professionnels sollicités, comme plusieurs d’entre-nous, ont au moins un alcoolique dans leur famille. Comme nous, vous avez un oncle Jean ou une tante Jeanne dont l’état de santé se détériore. Alors, médecins, psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, conseillers financiers, expert en éducation et développement de l’enfant, rien n’y faisait parce que Jean ou Jeanne (qui après un certain temps ne méritait plus de sympathie) continuait à boire. Ceci est une partie de la signification de progressive : qui ne s’arrête jamais et démoralise quiconque est touché par la maladie car presque dès le départ, cela les amène à dire : << À quoi ça sert ? >>

L’alcoolisme, cet indéracinable. Voici l’autre partie de la progression qui me fascine : pendant que l’alcoolique continue à boire, la maladie ne peut qu’empirer. Supposons que Jean ou Jeanne cesse de boire, soit à cause d’un traitement formel, soit qu’il ou qu’elle s’abstienne de boire pendant 10, 15 ou même 25 années. Puis, pour une raison quelconque, généralement très banale, Jean ou Jeanne décide de recommencer à prendre de l’alcool et essaie de revenir à la façon << normale >>, sociale et contrôlée de boire de tout non-alcoolique. Toutefois, le pauvre, Jean ou la pauvre Jeanne en est incapable.

En effet, en peu de temps, habituellement en moins de 30 jours, les symptômes que l’alcoolique manifestera seront les mêmes retrouvés il y a 25 ans et habituellement pires ; c’est tout comme si ce temps ne signifiait rien. Un alcoolique ne peut être abstinent pendant une certaine période, recommencer à boire et avoir les premiers symptômes de l’alcoolisme. Un alcoolique ne peut savourer quelques années de boire modéré avant que cela devienne aussi grave que ce l’était avant. La maladie est omniprésente, latente, et reprend où elle s’était arrêtée. Je sais que cette affirmation est renversante, qu’elle relève presque du surnaturel, mais plus loin dans le texte, je pense être en mesure de vous fournir une explication scientifique à savoir pourquoi c’est un acte médical.

À la recherche d’une définition. Mais poursuivons avec la définition qui dit que l’alcoolisme est une maladie INCURABLE ; à mes yeux c’est indéniable. Oncle Jean ou tante Jeanne peut revenir à une vie normale, MAIS SEULEMENT POUR LE TEMPS QU’IL OU QU’ELLE CESSE DE BOIRE. À l’occasion, vous trouverez une rare étude médicale qui affirme le contraire : on peut apprendre à un alcoolique à boire modérément et socialement. Si vous êtes alcooliques, NE LE CROYEZ PAS, car jusqu’à présent, la science ne nous a encore fourni aucun remède à l’alcoolisme.

Maintenant, nous avons dit que l’alcoolisme est une maladie chronique, progressive et incurable dont la caractéristique est la perte de maîtrise face à la consommation d’alcool et d’autres sédatifs. Cela peut sembler tellement évident que ça en devient banal, mais c’est une définition médicale très importante ; tout ceci rend cette maladie différente d’autres maladies chroniques et incurables comme le diabète et certaines formes d’arthrite. La perte de maîtrise ne signifie pas, comme plusieurs profanes et même certaines professionnels semblent le penser, qu’à chaque fois qu’un alcoolique prend un verre, il boira avec excès et sera ivre.

Cette situation est très rare. En effet, la plupart de mes patients m’assurent que juste avant de se retrouver à l’hôpital, il y avait des périodes pendant lesquelles ils ne buvaient qu’un ou deux verres d’alcool et ce, à une occasion spéciale… et s’arrêtaient. Ils ne consommaient pas d’Autre alcool cette journée-là et si vous regardiez seulement cette courte période de 24 heures, vous présumiez que ces gens étaient des buveurs normaux qui contrôlaient leur absorption d’alcool. Toutefois, la perte de maîtrise signifie qu’une fois que l’alcoolique prend ce premier verre, après une période de sobriété ou d’abstinence, il ne peut prédire, avec assurance, s’il continuera à boire de façon (à suivre…)

Alcoolisme = << Sédatisme >>. Maintenant, c’est probablement le moment opportun pour vous déclarer que l’alcool est un SÉDATIF et vous souligner ce que cela implique. L’alcoolisme est une maladie chronique, progressive et incurable caractérisée par la perte de maîtrise face à l’alcool et à d’autres sédatifs. L’alcoolique n’a pas uniquement perdu la maîtrise de l’alcool car ce dernier n’est rien d’autre qu’un tranquillisant (ou sédatif) largement disponible, socialement acceptable, peu dispendieux et ne nécessitant aucune ordonnance. On peut aller l’acheter à la société des alcools ou au supermarché au lieu de la pharmacie. Mais, si vous percevez l’alcool comme un médicament et si vous regardez ses effets sur le cerveau, vous constaterez que c’est un sédatif. L’alcool agit exactement comme un tranquillisant ou un somnifère : il agit comme un dépresseur sur le système nerveux central (engourdit le tissu cérébral).

Comme vous pouvez le constater, la situation est délicate. En effet, l’alcoolique n’a pas perdu la maîtrise uniquement face à l’alcool, mais également face à TOUS LES AUTRES SÉDATIFS. En fait, un des gros problèmes dans le traitement actuel, du moins chez la majorité (60%) de mes patients, est qu’ils n’abusent pas seulement d’alcool éthylique, mais aussi de tranquillisants mineurs et somnifères-drogues sédatives. Un fait intéressant : ordinairement on les obtient légalement avec des ordonnances de médecins qui ignorent qu’ils soignent des alcooliques ou ne savent pas comment traiter l’alcoolisme et ne le reconnaissent pas comme maladie caractérisée aussi par une perte de maitrise face aux médicaments qu’ils prescrivent.

Par conséquent, vous pouvez rapidement vous retrouver avec quelqu’un qui non seulement est dépendant de l’alcool éthylique, mais aussi << esclave >> de tranquillisants et de somnifères, et ce, à tour de rôle.

Nous savons maintenant que l’alcoolisme est chronique, progressif et incurable dont la caractéristique est la perte de maitrise face à l’alcool et d’autres sédatifs. Personnellement, c’est la définition que j’aime utiliser en clinique. Si j’ai un patient assis devant moi dans mon bureau et que j’essaie de répondre à la question à savoir si << Jean ou Jeanne souffre d’alcoolisme ? >>, je me réfère à cette définition. La perte de maitrise est le facteur clinique le plus important. Cette personne a-t-elle une conduite prévisible lorsqu’elle boit ? Si oui, elle n’est pas alcoolique. Cependant, si elle ne peut même pas prédire ce qui arrivera après, alors je sais qu’elle souffre de la maladie.

La définition de la maladie selon la médecine. Bien que les médecins aiment parler d’étiologie (étude des causes des maladies) ou des causes de la maladie, nous sommes obligés de regarder avant tout les symptômes et les signes. Ces derniers sont les manifestations physiques qu’un médecin peut littéralement discerner chez un malade : par exemple : la fièvre qui accompagne la pneumonie ou le taux élevé de sucre dans l’urine d’un diabétique. Y-a-t-il des signes et des symptômes propres de cette mystérieuse maladie nommée alcoolisme.

Absolument ! Il y en a probablement plus que pour la plupart des affections et nous savons beaucoup à leur sujet. Je n’énumérerai pas tous les signes et symptômes, il y en a 50 ou 60 qu’on retrouve fréquemment et plusieurs autres plus rarement, mais je veux quand même en mentionner quelques-uns. À la PHASE INITIALE, par exemple, vous trouverez ce qu’on connait comme étant le << boire de compensation >>, la personne prend de l’alcool pour se soulager de quelque chose : la souffrance émotive, des difficultés pécuniaires, bref, à peu près n’importe quoi. Le fait de conduire en état d’ébriété et les pertes de mémoire surviennent couramment à la phase initiale ; c’est la période d’amnésie qui survient pendant que la personne boit. Si vous connaissez quelqu’un qui a fait cette expérience plus d’une fois ou deux, vous pouvez parier qu’il est alcoolique. Boire pour se soulager, conduire en état d’ébriété, trous de mémoire sont tous des symptômes de la phase initiale.

Puis, nous arrivons à la phase centrale de la maladie appelée généralement PHASE CRUCIALE, car c’est à ce moment qu’on peut reconnaitre les alcooliques et les amener à se faire soigner (hospitalisation, perte de permis de conduire). Aussi, c’est la période où, si vous ne les inciter pas à se faire traiter, les chances de recouvrer la santé diminuent beaucoup ; c’est donc un point important. À cette étape, nous voyons les symptômes classiques (absentéisme et rendement faible au travail, problèmes financiers et familiaux, changements dans la conduite morale et éthique, etc.) qui ont tendance à survenir à mesure que la maladie s’aggrave et qui, par le fait même, contribuent à rendre l’alcoolique détestable. Ces signes et symptômes rendre la malade passablement apparente et facilement décelable. Pour cette raison, ce moment pourrait être très opportun pour que la personne atteinte commence de quelque façon à suivre un traitement. Une cure s’impose étant donné que nous sommes au début des << ravages >> physiques causés par l’alcool. Avant le commencement de la détérioration corporelle l’alcoolique entre dans la PHASE CHRONIQUE ou FINALE de la maladie. La plupart d’entre nous, lorsque nous figurons un alcoolique, imaginons une personne en phase chronique : ce semblant d’humain au physique lamentable, au foie détérioré, à cerveau vacillant à peine et près de s’éteindre. De façon générale, nous nous imaginons un clochard qui, en fait, ne correspond qu’à 3% peut être 4% des alcooliques du monde d’aujourd’hui. De leur vivant, la plupart de ces personnes n’atteignent pas cette dernière étape de la maladie. La majeure partie mourront par traumatisme, sur la route ou à la maison dans leur lit par une cigarette qu’ils auront omis d’éteindre et qui les fera périr dans les flames.

La notion de maladie et sa valeur salutaire. Bon, nous voici avec des idées sombres, la pathogénèse naturelle de l’alcoolisme non-traité. Mais le côté merveilleux de notion de maladie est qu’elle nous permet de déceler les symptômes de l’alcoolique et de le traiter avant que le dommage soit irréversible. Avec un traitement approprié, le rétablissement complet est fort probable.

De nos jours, aux États-Unis, environ 34,5 alcooliques sur 36 vont mourir des suites de la maladie sans jamais avoir reçu le traitement nécessaire.

Les alcooliques se font couvrir d’étiquettes. De plus, de nombreuses cures fréquemment à base de sédatifs, augmentent encore plus la dépendance et pousse le malade plus rapidement au bas de la pente. Il existe des traitements, mais se sont souvent les mauvais, dès lors, l’alcoolique s’éteint naturellement. En fait, les plus chanceux meurent. En effet, 0,5% des 36 deviendront fous, tandis que les 2/3 finiront avec des lésions au cerveau : œdème cérébral (<< wet brain >>) dont vous avez probablement entendu parler. Dans ces dernières étapes de l’alcoolisme, la destruction du tissu cérébral est telle qu’il ne reste qu’à placer l’alcoolique dans un hôpital ou un centre d’accueil. Donc, un nombre significatif d’alcooliques aura éventuellement le cerveau détruit par la maladie. Environ 34 sur 36 aura des soins, se rétablira et sera bien portant. Ces statistiques sont dramatiques parce que non nécessaires. Aujourd’hui, nous avons vraiment la thérapie adéquate pour l’alcoolisme (considéré comme une maladie en soi), et avec cela, on renverse complètement ces chiffres épouvantables.

Voyez ces statistiques. Disons que nous trouvons quelqu’un dans la phase cruciale, le cas classique d’une personne qui travaille toujours mais qui a été contrainte, par son employeur, de se faire soigner à cause d’un rendement insatisfaisant au travail. Dans cette situation le taux de rétablissement atteint 80% : 8 personnes sur 10 peuvent se rétablir. Nous ne pouvons espérer les mêmes résultats dans le cas d’alcoolique en phase finale ou chronique., Toutefois, même chez le genre << clochard >> (les pires cas auxquels vous pouvez penser), le taux de rétablissement va de 25% à 35%. Par rétablissement, j’entends des gens qui recouvrent la santé et retournent à une vie normale et fonctionnelle. Nous sommes en présence d’une autre facette étrange de l’alcoolisme. Il y a très peu de maladies chroniques, progressives et incurables où 25% à 80% des gens atteints peuvent à nouveau se remettre sur pied.

La cause de l’alcoolisme. Qu’elle est la cause de l’alcoolisme ? Nous ne le savons pas de façon certaine, mais nous en avons maintenant une très bonne idée. Des études médicales ont démontré, par exemple, que l’alcoolisme se retrouve dans les familles (vous avez probablement constaté cette tendance par vous-même). L’histoire familiale des patients indique que dans 95% des cas, la mère, le père, un oncle ou un frère avait un problème d’alcool. Habituellement, lorsqu’il y a un alcoolique dans la famille, vous en trouverez plusieurs autres à l’arrière-plan. Toutefois, ce n’est pas uniquement une question de milieux familial, en effet, des travaux sur l’hérédité réalisés à travers le monde, démontrent clairement que la génétique est beaucoup plus significative que toute autre combinaison de facteurs étudiés (sociaux ou de l’environnement) pour déterminer si vous avez des tendances à l’alcoolisme.

Attention! Je ne dis pas qu’une personne nait alcoolique. Je n’ai jamais rencontré un alcoolique qui ne buvait pas. Mais je pense que certaines personnes sont vraiment PRÉDISPOSÉES à cause de leur hérédité et si un jour elles recommenceraient à boire, elles s’exposeraient grandement au risque de développer la maladie.

THIQ – La coupable chimique. Certes, en médecine, nous avons beaucoup de maladie qui surviennent de cette manière, comme par exemple le diabète et les maladies cardiaques. Aujourd’hui, la médecine remarque une prédisposition familiale, elle cherchera une irrégularité dans la chimie de l’organisme. Que dire de celle des alcooliques ?

Tout à commencer à Houston, Texas, grâce à une scientiste du nom de Virginia Davis qui effectuait des recherches sur le cancer. Pour ses travaux, elle avait besoin de cerveaux humains, ce qui n’est pas facilement disponible, en ce sens que vous n’allez pas au magasin pour en acheter. Alors, à l’aube, elle patrouillait avec les policiers de Houston, le Skid Row, ramassait les corps d’ivrognes décédés au cours de la nuit et prélevait leur cerveau pour fins de recherche.

Virginia, découvrit dans le cerveau de ces alcooliques chroniques une substance qui, en fait est très reliée à l’héroïne. Cette substance, depuis longtemps connue des scientistes, se nomme << tétrahydroisoquinoline >> ou, heureusement, THIQ en abrégé. Quand une personne s’injecte de l’héroïne, une certaine quantité s’échappe et se transforme en cette THIQ. Pourtant, ces ivrognes ne consommaient pas d’héroïne, ils n’étaient que de simples alcooliques. Alors, comment la THIQ se trouvait-elle dans leur organisme ? Lorsqu’un non-alcoolique prend un verre, l’alcool est éliminé très rapidement à raison d’à peu près un verre à l’heure. Le corps transforme d’abord l’alcool en << acétaldéhyde >>, une substance très toxique dont Mère Nature nous aide à nous débarrasser très rapidement en le transformant en << dioxyde de carbone >> et en eau, ce qui s’élimine par les reins et les poumons.

Ce que Virginia découvrit à Houston, et qui par la suite a été confirmé à plusieurs reprises, est qu’en plus, chez les alcooliques, une très petite quantité d’acétaldéhyde n’est pas éliminé, au contraire elle se rend au cerveau où, par un processus biochimique très complexe, elle se transforme en THIQ. Les chercheurs ont trouvé des choses fascinantes sur cette substance ; d’abord, le THIQ est fabriqué directement dans le cerveau et se retrouve seulement chez l’alcoolique et non chez le buveur << social >>.

Deuxièmement, on a trouvé que le THIQ peut créer beaucoup plus d’accoutumance que la morphine.

La troisième chose fascinante sur la THIQ a aussi à voir avec la dépendance : il y a, comme vous le savez peut-être, certaines espèces de rats qu’on ne peut amener à boire de l’alcool. Placez-les en cage avec un mélange très faible de vodka et d’eau et ils refuseront d’y toucher : ils mourront littéralement de soif plutôt que de consentir à boire le mélange. Mais, si vous prenez le même genre de rats et leur injectez une quantité infime de THIQ dans le cerveau, l’animal développera immédiatement une préférence à l’alcool plutôt qu’à l’eau. Il traversera rapidement la cage pour arriver au mélange de vodka et d’eau. En fait, il sera heureux si vous ajoutez que très peu d’eau à l’alcool. Ainsi, nous avons pris un rat normal et l’avons transformé en rat alcoolique. Pour ce, nous n’avions besoin que d’un soupçon de THIQ.

D’autres travaux ont été effectués sur des singes, nos proches parents au sens médical. Nous avons appris que le THIQ reste dans le cerveau du singe lorsqu’on l’y injecte. Vous pouvez faire en sorte que l’animal a qui on a administré de la THIQ reste sobre pour une durée aussi longue que sept (7) ans. Puis, lorsque vous sacrifiez l’animal et étudiez son cerveau, cette substance étrange s’y trouve encore. Comme vous l’avez déjà probablement vu, ceci nous ramène à la progression de la maladie. Vous souvenez-vous de cette personne qui a été sobre pendant 10 à 15 ans et qui soudainement se remet à boire ? L’alcoolique manifestera immédiatement les mêmes symptômes apparus il y a des années ! L’humain alcoolique transporte encore la THIQ, comme les rats et les singes rendus alcooliques par l’homme.

Le casse-tête prend forme. Vous voyez comment ces découvertes de laboratoire s’ajustent aisément à ce que nous, spécialistes en alcoolisme, avions remarqué depuis longtemps dans nos cliniques. On y mène oncle Jean, ivre une fois de plus, et même si ça le tue lentement, il ne peut, dirait-on, cesser de boire. Lorsqu’il sera suffisamment sobre, nous obtiendrons une histoire familiale. En effet, il y a d’autres alcooliques dans sa famille, une prédisposition familiale dont, autrefois, nous ne voyions que l’ombre à présent, nous le distinguons de façon beaucoup plus claire : une prédisposition à la fabrication de THIQ.

Les alcooliques n’ont pas l’intention de produire de la THIQ lorsqu’ils commencent à boire, ils ne dictent pas à leur cerveau de fabriquer cette substance plus puissante que la morphine. Toute leur vie, ils ont été mis en garde contre les dangers des narcotiques ; toutefois ils ont beaucoup moins entendu parler des dangers de l’alcoolisme. La plupart des Américains non-alcooliques prennent un verre à l’occasion et les jeunes alcooliques en puissance veulent être << normaux >>, ils prennent aussi un vers de temps en temps.

Malheureusement, les alcooliques en puissance ne sont pas << normaux >>, et ils ignorent que la machine de leur cerveau a hérité d’une prédisposition à fabriquer de la THIQ. Personne ne le savait jusqu’à tout récemment ; Jean et Jeanne, de même qu’une nouvelle génération d’alcooliques prennent leurs premières consommations en petites quantités et tout est très agréable. Ainsi, l’alcoolique en puissance est possiblement très modéré quand il commence à boire. À peine quelques verres le samedi soir, peut être deux bières lors des matchs de football à la télévision, une goutte ou deux pour relaxer en préparant le repas familial, ou deux ou trois consommations pour apaiser le trac avant la collation des grades au niveau secondaire. Au début, les personnes prédisposées sont vraiment saoules environ une ou deux fois par an. Jusqu’ici, tout va bien, mais pendant tout ce temps, le cerveau de l’alcoolique s’affairait à préparer l’espace qu’occupera la THIQ, tout comme le cerveau de nos rats et de nos singes. Tôt ou tard, l’alcoolique franchira une frontière quasi imperceptible qui l’amènera à vivre sa vie tout autrement. De nos jours, la médecine ignore toujours l’emplacement de cette frontière et la quantité de THIQ qu’accumulera un cerveau avant que l’évènement principal se produise.

Tandis que certaines gens prédisposées traversent cette frontière à l’adolescence et parfois avant, d’autres ne la franchissent que vers l’âge de 30 ou 40 ans et peut être même juste avant la retraite. Mais, une fois cette étape accomplie, l’alcoolique sera aussi dépendant de la boisson qu’il ne l’aurait été de l’héroïne en supposant qu’il s’en injecterait et ce, pour des causes chimiques très semblables. Puis survient la perte de maîtrise. À présent, l’aspect CHRONIQUE PROGRESSIF ET INCURABLE saute aux yeux de presque tout l’entourage de l’alcoolique. La maladie est trop évidente et bien souvent, on la soignera par d’autres sédatifs ! Vraiment, on traite trop la dépendance alcoolique par des pilules qui ne font qu’empirer l’état. Une fois notre intervention terminée, en supposant que l’alcoolique est encore vivant, il fonctionnera à peu près comme un rat à qui on a injecté de la THIQ.

De bonnes nouvelles. L’alcoolisme est une maladie, et ça c’est une bonne nouvelle. La personne qui en souffre n’est pas responsable de la maladie, c’est aussi une bonne nouvelle. De nous jours, les alcooliques peuvent obtenir un traitement approprié et ce dernier débute quand les patients sont au courant des faits. Les alcooliques que je vois sont, en général, très soulagés d’apprendre qu’ils ne sont pas responsables car ils se sont énormément culpabilisés à ce sujet.

Aujourd’hui, à la place de la culpabilité, le patient peut assumer une certaine RESPONSABILITÉ. À présent que la personne est consciente de son état, elle peut par un traitement, décider de cesser de boire ; les alcooliques peuvent s’opposer à ajouter de la THIQ dans leur cerveau et peuvent refuser d’activer la THIQ qui s’y trouve déjà. Il leur est impossible de se débarrasser de la THIQ, mais par traitement, ils apprennent à en maitriser la formation.

Les alcooliques peuvent réapprendre à vivre normalement et de façon saine. C’est une bonne nouvelle pour nous tous.