Amour et orgasme
SOURCE : Alexander Lowen, amour et plaisir (même livre)
L’identification se produit d’ailleurs aussi dans beaucoup d’unions hétérosexuelles. L’homme dont l’excitation dépend de celle de la femme, dont le plaisir vient de la satisfaction de celle-ci joue un RÔLE homosexuel ; cet homme en sait plus sur la sexualité féminine que sur la sienne et s’intéresse moins à ses propres sensations qu’à celles de la femme, C’est ce qu’exprimait et défendait un client que j’ai suivi pendant peu de temps. Il se considérait comme un amant formidable et assurait qu’il était ainsi qualifié par les femmes qu’il connaissait. Il avait pour habitude d’exciter oralement leurs organes génitaux jusqu’à ce qu’elles atteignent l’orgasme ou en soient très près. Pour lui, le coït n’était qu’une activité secondaire, le but exprès de tout ce qu’il faisait était la stimulation et la satisfaction de la femme et son plaisir dépendait des réactions de celle-ci. Celles de son système génital lui importaient peu, disait-il, puisque c’était celles de la femme qui lui apportaient le plus de plaisir. J’avais peine à me représenter cet homme dans le rôle d’amant formidable ; il n’avait pas du tout l’air romanesque, ses mouvements et son maintien étaient peu masculins. En fait, assis en face de moi, replié sur lui-même, suffisant et content de lui, il me fait plutôt l’effet d’une vieille commère. Pourtant, une femme me confia qu’un frisson la parcourait quand il la regardait. Il la consommait des yeux, disait-elle. Ce type d’activité sexuelle était très répandu ; en fait, une de mes clientes se plaignait que chaque homme attiré par moi déclare qu’il a envie de me manger. Un ami m’a dit que je suis comme la bouteille dans Alice au pays des merveilles qui porte une étiquette disant mangez-moi. Un homme m’a dit que c’est à cause de mon derrière cambré. Il y en a un, qui aime se battre et se battrait pour trois fois rien, qui m’a proposé de venir cirer mon plancher. Ce sont de hommes qui aiment s’abaisser et se diminuer. Pourquoi me choisissent-ils ?
La femme qui me racontait cela avait un fort penchant masochiste. Elle n’avait aucune fierté de soi, ni en tant qu’être humain, ni en tant que femme. Il était évident que les hommes attirés par elle avaient une personnalité du même genre. Je lui répondis : << Qui se ressemble, s’assemble >>. La lesbienne peut même essayer de reproduire un sexe masculin grâce à un appareil nommé godemiché, qui s’attache au corps et porte un pénis artificiel. De la même façon, on ne peut pas dire que, du simple fait qu’il a un coït avec une femme, un homme est hétérosexuel. S’il se sert de son pénis comme la lesbienne d’un godemiché, seulement pour satisfaire sa partenaire, on peut aussi bien qualifier leurs relations d’homosexuelles et plus encore lorsque l’homme se sert d’autres parties de son anatomie pour arriver à ses fins.
L’identification aux sensations de son partenaire est un symptôme d’homosexualité, car elle refuse la nature antithétique des sexes. Outre l’identification, une autre attitude homosexuelle souvent rencontrée dans l’hétérosexualité est la notion de service. L’homosexuel dit que ses activités consistent à faire plaisir à son partenaire, ou à le rendre heureux. Mais c’est aussi vrai de l’homme dont le souci principal est de porter une femme jusqu’à l’orgasme.
Être poussé à avoir des relations sexuelles avec une femme par le seul fait qu’elle est excitée trahit le besoin de lui faire plaisir. Certains sexologues prônent, sous le drapeau de l’art d’aimer, une technique sexuelle fondée sur ce concept de faire plaisir. Par exemple : Albert Ellis écrit : << L’individu profondément emphatique ne se contente pas de noter passivement ce que requiert son compagnon au lit, mais l’observe activement, le recherche et y pourvoit. J’ai toujours cru que l’union sexuelle se produisait entre égaux capables de prendre soin chacun de ses propres besoins >>. Les propos d’Ellis font de chaque partenaire le servant de l’autre. Dans notre culture, aider une femme à jouir de son sexe ou à atteindre un orgasme est presque une activité sociale répandue. Cela peut être dû en partie à la crainte si répandue de la femme frustrée, ce monstre qui peut dévorer ses enfants et détruire son mari (et qui le fait parfois). Mais cette crainte ne fait que renforcer la castration de l’homme aboutissant alors à une frustration accrue de la femme. L’homme doit veiller, dans son désir de plaisir mutuel, à ne pas abdiquer son identité masculine ni accepter un rôle subalterne. L’amant formidable est en général un mâle médiocre. Malheureusement, il semble que notre civilisation ait une tendance homosexuelle à réduire la sexualité masculine à la faculté de satisfaire une femme ! Pourtant, la femme ne l’est jamais pleinement par une pareille performance. Que ce soit dans le coït ou par tout autre moyen. Ces prétendues techniques sexuelles finissent par faire perdre à l’homme plus qu’il ne gagne et aux femmes ce dont elles ont vraiment besoin, un mâle. À cause de ce sens inverti de la virilité qu’ont beaucoup d’hommes, les femmes font souvent semblant de ressentir l’orgasme, parce que savoir qu’ils ne les ont pas satisfaites blesserait la fierté masculine. Une de mes clients se plaignait que son amant voulu absolument qu’elle ait trois ou quatre orgasmes avant qu’il se permette de jouir. Comme elle-même ne se sentait pas très sure d’elle, elle se résignait à feindre des sensations qu’elle n’éprouvait pas, le résultat étant que personne n’était satisfait. Au lieu d’être une expérience partagée. L’activité sexuelle devenait un jeu où chacun jouait un rôle. Ma cliente disait que cela ne lui faisait pas plaisir, mais que devant l’insistance de son amant qu’elle continuait à jouer le jeu.
Personne ne peut satisfaire personne. Le plaisir complet dépend de la faculté à s’abandonner tout entier à l’expérience sexuelle et il échappe à ceux qui font de celle-ci une performance. Ce n’est pas l’homme qui peut satisfaire une femme ou lui faire éprouver un orgasme ; il peut créer les conditions qui lui rendent possible de s’assouvir elle-même, mais c’est à elle de le faire. Les conditions que doit remplir l’homme sont avant tout d’être pleinement lui-même, sincère dans ses relations avec la femme et capable d’aimer le contact sexuel avec elle. Qu’on ne se laisse pas égarer par le mythe des orgasmes multiples, c’est toujours une assurance de femme qui fait semblant ; elle peut même se mentir à elle-même et prendre de petites palpitations d’excitation pour le profond sentiment de libération et de relâchement où culmine une savoureuse expérience. De la part de l’homme, le besoin de satisfaire la femme est en relation directe avec la peur qu’il en a, et avec ses inquiétudes concernant sa puissance virile.
Derrière cette attitude et ce besoin, on trouve toujours la peur de l’éjaculation précoce. Les doutes au sujet de la virilité rendent hypersensible aux réactions de la femme, mais, une fois encore, cela fait partie du cercle vicieux. La peur d’éjaculation trop tôt et l’incapacité à satisfaire la femme accroissent l’état de tension et ne font qu’abréger le délai. En définitive, l’homme supprime son excitation et sacrifie son plaisir pour garder sa réputation de virilité aux yeux d’une femme infortunée. L’éjaculation précoce est un des problèmes sexuels le plus courant parmi les hommes de notre culture. Dans un sens, la peur de la << prématurité >> est irrationnelle, car l’acte sexuel n’a pas de limite de temps assigné. L’éjaculation est prématurée quand elle se produit avant qu’on ait atteint le paroxysme de l’excitation et régler d’après la réaction de la femme le moment d’où elle se produira détruit le flot naturel de sensation et des sentiments, seuls garants d’une satisfaction mutuelle. On ne saurait trop insister sur ce point ; arrêter la montée de son excitation par considération pour la femme limite les possibilités de satisfaction mutuelle, alors que le contraire les renforce.
Un de mes malades, qui éprouve une crainte de l’éjaculation précoce associé à l’inévitable besoin de satisfaire la femme, prenant en général la place de celle-ci dans la copulation. Lorsque j’eus analysé cette habitude, et après pas mal d’encouragements, il essaya de se mettre dessus. Voici exactement ce qu’il me rapporta ensuite : << J’étais dessus pour voir et je sentais que le frottement était différent, favorable pour jouir. Ça m‘a excité et au bout de deux minutes j’ai vu que j’allais jouir. J’ai arrêté mes mouvements pour ne pas le faire mais j’ai débandé. Alors, je me suis retiré et j’ai changé de position. Sous la femme, j’ai tenu une demi-heure. >>
En même temps que ce malade exprimait sa soumission aux femmes, il clamait sa révolte : << Au diable les femmes ! Tout ce qu’elles veulent, c’est un étalon. Ah, je voudrais n’avoir jamais entendu parler de sexe ! >> Un godemiché peut << tenir >> plus longtemps qu’un homme. Mais que vaut la durée si l’excitation est perdue ? Faire l’amour n’est pas un concours d’endurance. Quoi qu’il en soit, mon malade comprit qu’arrêter ses mouvements au moment où son excitation arrivait au plaisir complet était une réaction de panique, puisque cela se soldait par la perte de son érection. Un coït de deux minutes n’a rien de mal en soi. Encouragé à essayer encore, il revint huit jours plus tard avec une histoire toute différente : << Nous avons commencé sur le côté, mais bientôt je me suis tourné et je l’ai grimpée. Je n’ai pas arrêté de bouger et ça m’a beaucoup excité. J’ai joui très vite, mais je me suis aperçu que mon excitation stimulait ma compagne et déclenchait son plaisir. Elle a joui en même temps que moi. J’ai eu un orgasme violent qui ‘a fait perdre le sens. >> S’identifier avec les sensations de la femme et lui << faire plaisir >>, ce n’est pas seulement une attitude homosexuelle, mais une faiblesse de la personnalité toute entière. C’est ce qu’un autre de mes clients décrivit très clairement en me parlant de son comportement sexuel : << Je pars bien, je trotte bien, mais je n’arrive pas. J’ai toujours souci de faire plaisir à la femme et je me suis rarement senti tout à fait satisfait. >>