Revenir au site

73. S'éduquer

S'éduquer

SOURCE : Inconnue

On peut croire que l’éducation, c’est la formation des autres, au moyen de méthodes, d’enrégimentations et de connaissances établies. Mais si on a acquis quelque expérience en ce domaine, on s’aperçoit qu’on ne peut éduquer ou changer soi-même. On se rend compte que l’éducation/dressage ne change que des comportements extérieurs et contrôlables, jamais le cœur des personnes, pour la simple raison que ce niveau-là m’a pas encore été atteint par les instructeurs eux-mêmes.

Mais je ne parle justement pas d’instruction, de la somme de connaissances apprises par les lectures, les conférences ou l’étude et qui peut toujours se transvaser d’un cerveau à l’autre. Je parle d’éducation, du passage d’un état de conscience à un autre, d’une phase de compréhension à une autre, d’une attitude fondamentale à une autre. Je parle non pas de la formation, mais de la transformation de l’être profond, comme par exemple, du passage de la méfiance à la confiance.

Cela ne se transmet pas. Si vous observez un grain de blé; la vie n’est pas quelque chose qui se greffe sur la semence : la semence est déjà en vie, il suffit que l’éclosion et la croissance se fassent. Il suffit qu’on leur permette de se produire. Tout se retrouve déjà dans la semence.

Ce n’est pas la raison en nous (le principe masculin) qui peut comprendre la vie, car il est contrôle, organisation, analyse : il se coupe de la vie en pensant mieux la comprendre. Il juge, c’est pourquoi, il ne comprend ni les choses, ni les mystères de la croissance, ni les possibilités de l’être. Seule l’intuition, la sympathie, la confiance, le cœur profond (les entrailles du langage ancien) peuvent puiser dans la source en nous et l’exprimer comme vie complète et créatrice.

Seul le principe féminin en nous – réceptivité, compréhension, sagesse, vision d’ensemble, admiration, respect, douceur, tendresse, intuition et créativité – peut éduquer. Parce qu’il ne manipule pas et n’exerce aucun pouvoir. Tout se fait par lui, mais en même temps., il ne fait rien. Tout se change, mais jamais par la force, jamais par l’effort volontariste. Il laisse venir, il épouse le mouvement sans s’y opposer. C’est l’histoire de toute semence qui devient arbre, grâce à un milieu qui lui permet de devenir. C’est cela aimer : permettre de devenir. Respecter avec ferveur l’unicité de l’autre.

Je pense que seule la personne qui s’aime comme il faut peut éduquer. Si elle s’accepte comme étant en croissance, comme changeante, comme progressant et apprenant les leçons de chaque jour, alors seulement elle est en mesure de comprendre les autres, en épousant chez eux le même mouvement. Car la vie suit les mêmes lois partout.

Or, les enfants sont en croissance, ils sont en train d’apprendre à vive allure (plus vite que les adultes). Ils ne vivent pas dans un monde établi, fermé, décidé, fixe : ce que nous appelons notre monde actuel est pour eux déjà passé. Ils épousent le moment. Ils explorent, se trompent, s’éduquent : apprennent – si on le leur permet.

Mais si adulte, qui se propose de leur enseigner, n’accepte pas de se tromper et d’apprendre, s’il pense devoir présenter une image impassible, invulnérable, s’il a peur de pleurer, de se montrer tel qu’il est, d’être imparfait, incomplet et blessé il n’enseigne pas. Car il refuse la croissance. Il a peur d’être en mouvement, de quitter l’acquis pour l’aventure, le passé pour l’inconnu. C’est alors le côté masculin de l’être qui agit et on sait qu’il ne comprend ni n’admet la croissance. C’est un poing fermé.

En fait, on enseigne dans la mesure où on apprend. Et si on apprend, on enseigne toujours : on enseigne par son attitude justement, qui est le véritable professeur – l’attitude de celui qui est en croissance, ouvert au monde, souple, vulnérable, faillible, en route. On enseigne dans la mesure où on est réceptif, car alors on permet à l’autre de sortir de lui-même, de s’épanouir, de croître. Permettre de croître c’est une façon de dire : aimer. Et c’est toujours tout d’abord à soi qu’on permet de croître.

            Se permettre de croître, c’est laisser la semence en nous devenir l’arbre qu’elle aspire à être. Le Divin, c’est la semence de toutes les possibilités qui veille en nous et qui pousse, qui presse vers la lumière, vers l’épanouissement, vers la vie. Dieu, ce n’est pas quelqu’un en dehors qui juge de haut et attend de matraquer le coupable ou l’imparfait. C’est ce grain qui appelle l’infini en nous et que nous seuls pouvons laisser devenir un arbre.